Darwin contre Augustine : une approche biologique des programmes d’armement.
Des chercheurs en génétique cherchent à ressusciter le mammouth laineux. Massivement disparu il y a environ 10.000 ans à la fin de la dernière période glaciaire, des individus auraient continué à subsister jusqu’il y a 4000 ans. Particulièrement bien adapté au froid, il mesurait environ 3 mètres pour un poids pouvant aller jusqu’à 6 tonnes. Pesant environ 90kg à la naissance, il continuait sa croissance pendant une trentaine d’années pour vivre plus de 60 ans. Son cycle de gestation est estimé à près de 2 ans.
Le mammouth laineux fait partie des animaux ou plantes ayant adopté une stratégie de reproduction dite de modèle K[1]. Ce modèle est caractérisé par des animaux de grande taille, une durée de vie longue, un temps de croissance important et un nombre de descendants faible. Particulièrement adapté à des conditions de vie prévisibles, à un approvisionnement régulier en nourriture et à de faibles risques environnementaux, ce modèle est un investissement dans la survie des jeunes.
A contrario, d’autres animaux ou plantes ont adopté une stratégie dite r[2], produisant un très grand nombre de jeunes, le plus tôt possible, en dépit d’une mortalité élevée. Cette stratégie est considérée comme particulièrement adaptée aux milieux hostiles et imprévisibles. C’est ce qui permets aux lapins et aux rats de proliférer rapidement dans des milieux nouveaux.
En réalité, l’ensemble des espèces animales ou végétales adopte une stratégie hybride plus ou moins pondérée vers K ou r. Même chez l’être humain, il est apparu que si nous sommes globalement revenus à un modèle K, les modèles r et K ont alterné au cours de notre histoire.
Nos programmes d’armement coutent de plus en plus cher, demandent un temps de maturation de plus en plus important, des opérateurs aux formations de plus en plus longues et poussées, et durent de plus en plus longtemps. Les flottes se sont réduites d’autant, nos formats d’armée aussi, et il faut plusieurs années de formation à un opérateur de forces spéciales ou à un pilote de chasse avant d’être opérationnel.
Les prédictions d’Augustine se sont révélées relativement vraies : « Si les méthodes du Pentagone et l'évolution des coûts ne changent pas, le budget du Pentagone autour de 2050 servira à acheter un seul avion tactique. Celui-ci sera confié trois jours par semaine à l'USAF, trois jours à la Navy et le septième au Marine Corps. »
Nous vivons dans une période de paix considérée comme historiquement exceptionnelle. Il est facile de se permettre un rapprochement entre la stratégie de reproduction K et l’évolution de nos programmes d’armement. Nos armées occidentales ont actuellement peu de prédateurs, l’accès aux ressources est régulier (malgré les coupes budgétaires de ces vingt dernières années).
La question est donc la suivante : quid de l’attrition d’un futur engagement massif ?
Il faut environ 3 ans pour construire un Rafale et 5 ans pour former son pilote. Les échelles de temps sont similaires pour un char Leclerc ou une frégate multi-mission. Dans le même temps, lors d’un engagement majeur de niveau technologique comparable, les simulations montrent une attrition estimée d’1/3 de la composante aérienne la première semaine ou de 7% de la composante terrestre par jour (ce qui revient relativement au même résultat au bout d’une semaine). La consommation est donc largement supérieure à la capacité de production. En moins d’un mois, les combats de haute technologie s’arrêteront et verront une domination de la supériorité numérique.
Il faudra plusieurs années (dizaines ?) avant de retrouver un niveau comparable à l’avant-guerre. Tel le mammouth laineux, notre changement d’environnement nous sera probablement fatal. Bien entendu, le mammouth laineux ne disposait pas de la dissuasion nucléaire face au réchauffement climatique.
L’Histoire nous a malheureusement prouvé que les lignes de défenses infranchissables pouvaient être contournées, et que les paquebots insubmersibles pouvaient rencontrer des icebergs. La sagesse populaire nous engage donc à la prudence et à l’humilité. Sans forcément abandonner notre modèle d’armées K, il est envisageable de considérer une solution hybride conciliant les deux approches. L’histoire militaire nous a d’ailleurs montré qu’en cas de conflit mondial, la réallocation des ressources, la capacité et le volume de production vont naturellement vers un modèle r.
Il peut être intéressant d’envisager ce modèle dès le temps de paix, afin d’assurer la transition d’un modèle K à un modèle r le plus rapidement possible en cas de nécessité. Il en va de notre capacité d’adaptation à l’imprévu, et donc de notre résilience.
« Albert »